Ce rapport sur l’avortement provoqué en Afrique subsaharienne offre un aperçu de la légalité de l’avortement et décrit la fréquence et la sécurité de la pratique des avortements dans les 48 pays de la région. Le contexte sous-jacent de l’avortement, à savoir la grossesse non désirée et ses causes, y est également examiné. Les principales conclusions du rapport sont résumées ci-dessous:
Légalité de l’avortement
- La légalité de l’avortement en Afrique subsaharienne s’inscrit le long d’un continuum, allant de l’interdiction absolue à l’autorisation sans restriction de motivation. En 2019, 92% des femmes en âge de procréer de la région vivaient dans les 43 pays dotés de lois fortement ou modérément restrictives (c’est-à-dire allant de l’interdiction totale de l’avortement à son autorisation pour sauver la vie d’une femme ou préserver sa santé).
- Le Protocole de Maputo de 2003 de l’Union africaine, seul instrument d’affirmation des droits humains formulé de manière prescriptive sur les critères d’admission à l’avortement, a probablement contribué, ces 20 dernières années, à l’élargissement des bases légales de l’avortement dans 21 pays.
- Depuis l’adoption du Protocole, sept pays ont réformé leurs lois pour respecter (et dépasser pour un pays) les bases légales pour l’avortement sécurisé préconisées par l’Union africaine, consistant à autoriser l’avortement lorsque la vie ou la santé physique ou mentale de la femme est menacée, ainsi que dans les cas de viol, d’inceste et de malformation fœtale grave.
Incidence de l’avortement
- Sur la période 2015–2019, on estime que 33 avortements ont eu lieu chaque année pour 1 000 femmes âgées de 15 à 49 ans, avec peu de variation entre les quatre sous-régions d’Afrique subsaharienne. Les taux globaux et sous-régionaux ont été relativement stables au cours des 25 dernières années.
- Cependant, étant donné la forte croissance démographique en Afrique subsaharienne, un taux d’avortement constant signifie un nombre croissant d’avortements chaque année. Le nombre annuel d’avortements a presque doublé entre 1995–1999 et 2015–2019, passant de 4,3 millions à 8,0 millions.
- Les taux d’avortement sont généralement plus élevés dans les villes les plus peuplées par rapport aux pays dans son ensemble. De plus, les adolescentes sexuellement actives ont des taux d’avortement beaucoup plus élevés que toutes les femmes en âge de procréer.
- Partout dans le monde, les données indiquent que la restriction de l’avortement n’a aucun effet sur sa fréquence: le taux d’avortement reste identique, à 40 pour 1 000 femmes, que l’avortement soit interdit ou largement permis par la loi.
Sécurité de l’avortement
- L’avortement présente plus de risques en Afrique subsaharienne que dans toute autre région du monde. Entre 2010 et 2014, 77% des avortements pratiqués dans la région l’étaient dans des conditions dangereuses, par rapport à une moyenne mondiale de 45%. L’incidence des avortements à risque qui en résulte—6,2 millions par an—est lourde de conséquences pour les femmes et les familles de la région.
- Les avortements dangereux comprennent les avortements « moins sûrs » (pratiqués par une personne non qualifiée ou selon une méthode non recommandée) et « les moins sûrs » (pratiqués par une personne non qualifiée selon une méthode non recommandée). Sur la totalité des avortements pratiqués dans la région, presque la moitié tombe dans la catégorie des avortements les moins sûrs; cette proportion est la plus élevée en Afrique centrale, soit 69%.
- En 2019, l’Afrique subsaharienne présentait le taux de létalité par avortement le plus élevé de toutes les régions du monde, à 185 décès pour 100 000 avortements, pour un total de 15 000 décès évitables chaque année. Les efforts continus d’amélioration de la sécurité de l’avortement et d’élargissement de l’accès à des soins après avortement de qualité ont probablement contribué à une baisse de deux cinquièmes de ce taux depuis 2000, date à laquelle environ 315 femmes sont décédées pour 100 000 avortements.
Pratique de l’avortement et soins après avortement
- Plusieurs pays ayant élargi les bases légales de l’avortement ont adopté des directives calquées sur les normes médicales internationales et proposent désormais des interventions sûres en établissements de soins. Toutefois, dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, les restrictions légales et la stigmatisation obligent toujours les femmes à subir des avortements clandestins dans des conditions où la sécurité ne peut être garantie.
- Le recours grandissant au misoprostol seul pour provoquer l’avortement rend probablement les avortements clandestins plus sûrs. Ce scénario a été documenté en Amérique latine, région dotée de lois sur l’avortement particulièrement restrictives où l’utilisation du misoprostol s’est généralisée depuis plusieurs décennies.
- Une autre stratégie susceptible d’améliorer les résultats dans les pays à ressources limitées consiste à déléguer les soins après avortement au personnel de niveau intermédiaire, comme les infirmières et les sages-femmes, qui sont beaucoup plus nombreux que les médecins. Les soins après avortement sont toujours légaux et le personnel médical a un devoir éthique de les dispenser.
- La transition de la méthode de soins après avortement particulièrement invasive et coûteuse qu’est la dilatation et le curetage vers le misoprostol et l’aspiration intra-utérine—toutes deux conformes aux directives internationales—est encore loin d’être une réalité.
Grossesse non planifiée et avortement
- Presque tous les avortements résultent de grossesses non planifiées (celles voulues plus tard et celles non désirées du tout). De toutes les régions du monde, l’Afrique subsaharienne présente le taux de grossesses non planifiées le plus élevé, à 91 pour 1 000 femmes. Ceci s’explique principalement par le fait que la région a le taux le plus élevé de grossesses, à 218 pour 1 000. Le pourcentage de grossesses non planifiées est en fait le plus faible en Afrique subsaharienne, à 42%.
- Confrontées à une grossesse non planifiée, 37% des femmes, selon les estimations, l'interrompent. Cette proportion a augmenté statistiquement au cours des trois dernières décennies, ce qui pourrait affecter sérieusement le bien-être des femmes qui n’ont pas aisément accès à l’avortement sécurisé. Au niveau régional, la stigmatisation sociale reste un obstacle persistant; au niveau national, les entraves peuvent inclure des lois très restrictives ou une mise en œuvre inadéquate des lois libérales.
- Le désir de familles moins nombreuses grandit, mais il ne peut se concrétiser que si les femmes ont accès à la contraception moderne pour limiter et espacer leurs grossesses. À défaut, beaucoup d’entre elles se retrouvent face à une grossesse non planifiée, qu’elles choisissent alors d’interrompre par un avortement. Un grand nombre de ces avortements sera clandestin, et donc probablement dangereux, à moins que la forte stigmatisation associée à l’avortement—reflétée dans les lois restrictives de la région—ne soit endiguée.
La voie vers l’avortement légal et plus sûr est claire: il faut réduire la stigmatisation et élargir l’accès légal. Ce ne sont cependant là que les premières étapes. La réforme doit s’accompagner d’une volonté politique et d’une pleine application de la loi, de sorte que toutes les femmes—indépendamment de leur incapacité à payer ou crainte de la stigmatisation—puissent chercher et obtenir un avortement légal, dans les conditions optimales de sécurité.
Dans les pays dont les lois admettent peu ou guère l’avortement, atténuer les préjudices de l’avortement à risque devient la priorité. La diminution des décès liés à l’avortement démontre les bienfaits de l’élargissement de l’accès aux soins après avortement et de leur qualité. Le recours accru au misoprostol pour provoquer l’avortement sauve probablement aussi des vies. L’avortement clandestin peut être rendu plus sûr grâce à des initiatives de réduction des risques qui ont fait leurs preuves ailleurs, comme la diffusion d’information exacte sur l’emploi du misoprostol. Dans tous les pays d’Afrique subsaharienne, l’expansion de la contraception moderne contribuera grandement à réduire les grossesses non désirées et les avortements à risque qui en résultent.