Le nombre d’avortements pratiqués en 2016 à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo (RDC), est estimé à 146 700, d’après les résultats d’une nouvelle étude menée par des chercheurs de l’Université de Kinshasa en collaboration avec le Guttmacher Institute. Cela représente un taux d’avortement de 56 pour 1 000 femmes en âge de procréer, signe d’une pratique très fréquente dans la capitale.
L’étude fournit les premières estimations de l’incidence de l’avortement à Kinshasa, où la procédure est strictement interdite par la loi, sans exception. La ville est la plus grande zone urbaine en RDC; ses 12 millions d’habitants représentent 15% de la population totale du pays. Il faut noter que Kinshasa ne reflète pas la réalité du reste du pays — deuxième, en taille, du continent africain —, la RDC étant sinon encore largement rurale. Il n’existe actuellement pas d’estimation fiable concernant l’incidence de l’avortement sur l’ensemble du pays.
Les chercheurs ont également calculé l’incidence de la grossesse non planifiée à Kinshasa: en 2016, plus de six grossesses sur 10 tombaient dans cette catégorie. Ce taux relativement élevé de grossesses non planifiées est directement lié à de très faibles niveaux de pratique contraceptive moderne. Parmi les femmes mariées de Kinshasa, 23% seulement pratiquent une méthode de contraception moderne, alors que 73% déclarent ne pas désirer d’enfant à court terme ou du tout.
« La grossesse non planifiée est la cause profonde de la plupart des avortements et nous avons constaté à Kinshasa que, sur l’ensemble des grossesses non planifiées, près de la moitié sont interrompues volontairement », déclare le docteur Patrick Kayembe, coauteur de l’étude et professeur de médecine et santé publique à l’Université de Kinshasa. « Il est essentiel d’aider les femmes à éviter les grossesses qu’elles ne désirent pas si l’on veut améliorer leur santé et leur vie. »
Bien que le code pénal de la RDC interdise strictement l’avortement, il est généralement accepté que la procédure peut être pratiquée pour sauver la vie d’une femme et, dans de rares cas, les femmes peuvent obtenir à ce titre des soins d’avortement médicalisé. En dehors de ces circonstances exceptionnelles, les procédures d’avortement recherchées par les femmes sont clandestines et souvent pratiquées dans des conditions dangereuses. D’après les résultats de l’étude, quelque 37 900 avortements pratiqués en 2016 (soit un quart environ de la totalité des procédures pratiquées à Kinshasa) ont donné lieu à des complications traitées dans un établissement de santé. Les experts kinois consultés dans le cadre de l’étude estiment que 11 500 avortements de plus ont entraîné des complications requérant, sans toutefois l’obtenir, une attention médicale.
Bien que l’étude n’ait pas produit d’estimation du nombre d’avortements non médicalisés ayant entraîné un décès à Kinshasa, il est probable que les complications de ces procédures contribuent considérablement au taux élevé de mortalité maternelle enregistré en RDC. Malgré les améliorations relevées ces dernières années, la RDC présente toujours un taux de mortalité maternelle parmi les plus élevés au monde, à 693 décès maternels pour 100 000 naissances vivantes.
« Cette étude intervient à un moment critique, venant combler un vide majeur de données probantes concernant les besoins de soins de santé reproductive des femmes à Kinshasa », affirme le docteur Akinrinola Bankole, coauteur de l’étude et attaché supérieur de recherche au Guttmacher Institute. « Après des décennies de conflit armé et de mauvaise gestion, l’infrastructure des soins de santé à Kinshasa et sur l’ensemble de la République démocratique du Congo est en cours de reconstruction. Les données produites par cette étude peuvent éclairer les efforts d’élargissement et d’amélioration des services essentiels de santé reproductive, y compris la planification familiale et les soins après avortement. »
Les auteurs recommandent le renforcement des initiatives d’offre de services de contraception de haute qualité aux femmes et aux couples kinois, étape cruciale à la réduction du nombre de grossesses non désirées et d’avortements non médicalisés qui en résultent souvent. Ils préconisent en outre une nouvelle recherche en vue de mieux cerner les raisons de l’absence contraceptive moderne parmi les femmes qui désirent éviter une grossesse. L’élargissement des prestations de soins après avortement est également essentiel, afin que toutes les femmes requérant un traitement médical pour cause de complications d’un avortement non médicalisé puissent l’obtenir. Enfin, étant donné qu’il existera toujours un besoin de soins liés à l’avortement, l’amélioration de l’accès à des services d’avortement médicalisé est indispensable si l’on veut réduire les blessures et la mortalité maternelles.
Cette étude a bénéficié de subventions de la David and Lucile Packard Foundation, de l’Agence suédoise de coopération au développement international, du ministère néerlandais des Affaires étrangères et de l’Agence norvégienne de Coopération au développement, ainsi que d’UK Aid sous les auspices du gouvernement britannique. Les opinions exprimées sont celles des auteurs. Elles ne reflètent pas nécessairement les positions ou les politiques des bailleurs de fonds.
« The Incidence of Induced Abortion in Kinshasa, Democratic Republic of Congo, 2016, », par Sophia Chae et al., est publié en ligne dans PLOS ONE.