Les résultats de la première étude nationale consacrée à l’incidence de l’avortement au Sénégal sont clairs: l’avortement clandestin — presque toujours non médicalisé — représente une grave menace pour la santé des Sénégalaises. Fruit d’une collaboration entre le Guttmacher Institute américain et le Centre sénégalais de Recherche pour le Développement Humain, l’étude estime à 51 500 le nombre d’avortements pratiqués au Sénégal en 2012, soit un taux de 17 avortements pour 1 000 femmes en âge de procréer. Plus de la moitié de ces avortements ont donné lieu à des complications nécessitant une intervention médicale, qui n’a pas eu lieu dans de nombreux cas.
Ayant procédé par double enquête — l’une auprès des établissements de santé et l’autre auprès des professionnels de la santé —, les chercheurs ont constaté que plus de la moitié des femmes avortées (55%) souffrent de complications requérant une attention médicale. Quarante-deux pour cent de ces femmes n’obtiennent cependant pas les soins dont elles ont besoin. Les femmes pauvres sont les plus affectées: bien plus susceptibles de souffrir de complications que leurs homologues mieux loties, elles le sont cependant beaucoup moins d’obtenir l’attention médicale requise.
Comme le déclare Gilda Sedgh, chercheuse à Guttmacher Institute et principale auteure de l’étude publiée: «L’avortement clandestin affecte gravement les femmes du Sénégal, en particulier les plus pauvres et les plus défavorisées. Dans la plupart des cas, l’avortement est le résultat d’une grossesse non planifiée. Répondre au besoin de contraception moderne permettrait aux Sénégalaises de mieux gérer le moment de leurs grossesses, tout en réduisant la probabilité de leur recours à l’avortement non médicalisé.»
Le taux d’avortement au Sénégal est inférieur à celui de l’Afrique dans son ensemble (29 pour 1 000 en 2008) et comparable à celui des États-Unis (17 pour 1 000 en 2011) et de nombreux pays européens. Les complications de l’avortement sont cependant rares en Europe et aux États-Unis, où la procédure est largement légale et pratiquée dans de bonnes conditions médicales.
Les chercheurs estiment qu’au Sénégal, la mesure des grossesses non planifiées est d’environ 31% et que 24% de ces grossesses débouchent sur un avortement provoqué. Malgré la hausse enregistrée entre 2005 et 2014, la pratique de la contraception moderne reste faible, à 20% seulement parmi les Sénégalaises mariées.
«Les efforts déployés pour assurer l’accès aux services de planification familiale, information et conseil compris, et aux soins après avortement — sans risque de conséquences juridiques —, doivent être élargis», affirme Salif Ndiaye, directeur du Centre de Recherche pour le Développement Humain. «Il est clair aussi, d’après ces observations, que l’accent doit être mis sur les besoins des femmes pauvres. Elles courent le plus grand risque de complications de l’avortement et sont le moins susceptibles d’obtenir les soins médicaux dont elles ont alors besoin.»
Les chercheurs soulignent que le Sénégal dispose d’un programme national de soins après avortement relativement bien développé. Il reste cependant quelques difficultés à résoudre, comme celle d’assurer la disponibilité constante de l’équipement et des fournitures nécessaires, de prévoir la formation permanente des prestataires face à la rotation du personnel et de faciliter davantage l’accès des femmes les plus défavorisées aux services. Les chercheurs recommandent une offre de soins après avortement sans risque d’arrestation ou d’interrogatoire, afin de lever l’inhibition des femmes à se faire soigner. Ils préconisent aussi l’organisation de campagnes de santé publique visant à sensibiliser les femmes aux services de planification familiale, unies à un élargissement de l’offre de services de contraception dans le pays.
Estimations de l’incidence de l’avortement provoqué et conséquences de l’avortement non médicalisé au Sénégal, par Gilda Sedgh (Guttmacher Institute) et al., est accessible en ligne surInternational Perspectives on Sexual and Reproductive Health en français et en anglais.