La suppression des frais d’utilisation des services de santé au Kenya, au Ghana et au Sénégal a donné lieu à 3,1 accouchements supplémentaires en établissement pour 100 naissances vivantes, soit une augmentation de 5%, d’après une analyse des données d’Enquête démographique et de santé (EDS) de plusieurs pays d’Afrique subsaharienne.1 La hausse estimée est inférieure à celle signalée dans les analyses antérieures de pays individuels, en partie parce que ces études, contrairement à celle considérée ici, ne tenaient pas compte de l’augmentation qui serait probablement survenue même si les frais d’usager avaient été maintenus. Les taux d’accouchement par césarienne n’ont pas changé sous l’effet de l’élimination des frais, mais la mortalité néonatale a baissé de 9% (même si le changement n’est pas statistiquement significatif).
Sur la base de données d’EDS collectées entre 1997 et 2012, la nouvelle analyse examine si les niveaux des trois résultats (accouchement en établissement, accouchement par césarienne et mortalité néonatale) ont changé après la suppression des frais d’utilisation des services d’accouchement en établissement. Trois pays d’Afrique subsaharienne qui avaient éliminé ces frais, en tout ou en partie, pendant la période de l’étude ont servi de groupe d’intervention: le Ghana, où les frais d’accouchement ont été supprimés dans tous les établissements publics, privés et confessionnels en 2003 (régions sélectionnées) et 2005 (reste du pays); le Kenya, où ils l’ont été dans les dispensaires et les centres de santé publics, mais pas dans les hôpitaux, en 2007; et le Sénégal, où les frais médicaux ont été supprimés dans les établissements publics, presque partout dans le pays, en 2005–2006.
Le groupe témoin rassemblait sept pays (Cameroun, Congo, Éthiopie, Gabon, Mozambique, Nigeria et Tanzanie) qui n’avaient pas changé leur politique de d’application de frais médicaux pour l’accouchement. Dans trois de ces pays, la politique existante exemptait en fait les femmes de tous frais sur les soins de maternité, mais ces exemptions étaient rarement connues et appliquées. De plus, comme le changement de politique avait été progressif au Ghana et au Sénégal, les femmes qui avaient accouché pendant la période de transition avant l’élimination des frais dans leur région de résidence ont été incluses dans le groupe témoin.
Pour évaluer le lien entre la suppression des frais d’usager et ces trois résultats, les chercheurs ont eu recours aux régressions de doubles différences, afin d’examiner si les résultats avaient changé dans une plus grande mesure dans les pays qui avaient adopté ou non un changement de politique. Les caractéristiques des femmes (âge, zone de résidence, éducation, richesse et accouchements antérieurs) sont corrigées dans toutes les analyses, de même que les effets fixes de zone (qui tiennent compte des caractéristiques régionales) et d’année (pour couvrir les tendances temporelles). De plus, pour assurer des comparaisons appropriées, les enquêteurs ont ajusté la composition des groupes témoins pour chaque résultat, de sorte que les tendances du résultat soient similaires dans les groupes d’intervention et témoins avant la suppression des frais. Par exemple, le groupe témoin considéré pour l’accouchement par césarienne exclut le Nigeria, où le taux correspondant avait enregistré une baisse exceptionnelle entre 1999 et 2003; après cette exclusion, les six pays témoins restants et les trois pays d’intervention présentaient des taux statistiquement similaires d’évolution des niveaux d’accouchement par césarienne avant la suppression des frais d’usager. L’étude examine aussi les niveaux de changement par année, afin de déterminer si les tendances (telles que les retards d’amélioration) correspondent à la mise en œuvre d’une nouvelle politique.
L’analyse des accouchements en établissement selon la méthode des doubles différences a produit un effet marginal moyen de 3,1, pouvant être interprété comme indiquant que la suppression des frais est associée à 3,1 accouchements de plus pour 100 naissances, après correction des covariables. Cela représente une augmentation relative de 5% de la proportion des accouchements survenus dans les établissements de santé.
Les exemptions de frais d’usager sont aussi associées à une réduction estimée de la mortalité néonatale de 2,9 décès pour 1 000 naissances (soit une baisse relative de 9%), sans atteindre toutefois le seuil de signification statistique. Aucun changement ne se révèle au niveau des accouchements par césarienne. Les associations entre les covariables et les trois résultats sont conformes aux observations d’études antérieures: les premiers accouchements, le niveau d’éducation, la résidence en milieu urbain et la richesse sont associés positivement aux accouchements en établissement et par césarienne; les premiers accouchements sont associés positivement, et l’éducation et la richesse le sont négativement, à la mortalité néonatale.
Parce que les tendances antérieures au changement de politique étaient plus extrêmes, pour les trois résultats, au Sénégal que dans les deux autres pays ayant supprimé les frais d’utilisation, les chercheurs ont également effectué des analyses de sensibilité afin de déterminer si les données du Sénégal étaient responsables des résultats obtenus. Une analyse révèle que la suppression des frais médicaux au Ghana et au Kenya a donné lieu à 3,8 accouchements en établissement supplémentaires pour 100 naissances vivantes, tandis qu’une autre indique que le changement de politique sénégalais a réduit le taux de mortalité néonatale de 4,3 décès pour 1 000 naissances vivantes. Dans les deux analyses, le groupe de pays témoins est corrigé de manière à satisfaire aux paramètres des analyses principales (les tendances antérieures au changement devaient être similaires dans les pays d’intervention et témoins). Dans chaque cas, le résultat s’est révélé statistiquement significatif.
Enfin, l’analyse des effets de retard potentiels a révélé que l’augmentation des accouchements en établissement était supérieure durant l’année suivant la mise en œuvre du changement que durant celle de mise en œuvre proprement dite, laissant entendre, de l’avis des chercheurs, que « la mise en œuvre intégrale du changement de politique a pris quelque temps, scénario plausible pour un vaste programme d’envergure nationale ».
Les enquêteurs font remarquer que l’augmentation estimée des accouchements en établissement s’est avérée moindre dans leur étude que dans d’autres menées précédemment (3,1 par rapport à 5 à 12 pour 100). Ces autres études, concentrées sur des pays individuels, s’étaient cependant limitées à la comparaison des niveaux antérieurs et postérieurs au changement de politique, sans tenir compte des tendances existantes (et donc de l’augmentation des accouchements en établissement qui aurait probablement eu lieu même sans l’élimination des frais d’usager). Selon cette approche, l’étude décrite ici aurait constaté des changements statistiquement significatifs pour les trois résultats: 8,6 accouchements en établissement de plus pour 100 naissances, 1,3 accouchement par césarienne de plus pour 100 naissances et 9,5 décès néonatals de moins pour 1 000 naissances vivantes.
Les auteurs signalent comme limites de l’étude le fait qu’elle repose sur des données autodéclarées et le manque d’uniformité entre les politiques d’élimination des frais d’usager dans les différents pays. Les observations n’en donnent pas moins à penser que l’élimination des frais « a donné lieu à un accroissement substantiel des accouchements en établissement » et laissent entendre « une réduction non négligeable de la mortalité néonatale ». Même après l’élimination des frais, toutefois, la proportion des naissances en établissement demeure inférieure à 60%, indiquant que d’autres obstacles — d’accès géographique, de coûts de transport et de nature culturelle — « doivent être considérés simultanément dans les efforts de réduction de la mortalité maternelle et néonatale ».—P. Doskoch
Digest
La suppression des frais d’usager associée à une hausse des accouchements en établissement
References
1. McKinnon B et al., Removing user fees for facility-based delivery services: a difference-in-differences evaluation from ten Sub-Saharan African countries, Health Policy and Planning, 2015, 30(4):432–441.
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