D’après une analyse des données de cinq pays d’Afrique subsaharienne, la qualité des soins de maternité élémentaires dans les établissements de soins primaires — qui accueillent une importante proportion des accouchements dans beaucoup de pays en développement — est largement inférieure à celle des établissements de soins secondaires.1 Aux deux niveaux, de plus grands nombres d’accouchements sont associés à de plus hautes cotes d’indice de qualité des soins. Toutefois, les établissements de soins primaires — même ceux gérant le plus grand nombre d’accouchements — atteignent de plus faibles cotes de qualité de soins, ne disposant souvent même pas d’éléments fondamentaux d’infrastructure tels que l’électricité.
Les efforts de réduction de la mortalité maternelle dans les pays en développement ont souvent cherché à accroître la proportion des accouchements institutionnalisés, sans que l’amélioration de la qualité des soins obstétricaux reçoive cependant l’attention requise de la part des responsables politiques et des chercheurs. Étant donné l’observation, dans les pays à haut revenu, d’une tendance de bilans maternels moins favorables dans les établissements traitant moins de cas d’accouchement, les auteurs de l’étude considérée ici ont examiné le rapport entre le nombre d’accouchements et la qualité des soins dans cinq pays d’Afrique subsaharienne à revenu faible et intermédiaire (Kenya, Namibie, Rwanda, Tanzanie et Ouganda). Ces pays présentaient tous les cinq des taux de mortalité maternelle largement supérieurs à la cible des Objectifs de développement durable de 70 décès pour 100 000 naissances vivantes. La Namibie, seul pays à revenu intermédiaire compris dans le groupe, affichait, de loin, le taux le plus faible (130 pour 100 000 contre 320 à 410 pour 100 000 dans les autres pays), de même que la plus grande proportion d’accouchements institutionnalisés (87% contre 50 à 69%).
L’analyse repose sur les données d’enquêtes d’évaluation de fourniture de services (SPA) menées entre 2006 et 2010 dans le cadre du programme d’enquêtes démographiques et de santé (EDS). Ces enquêtes ont collecté une information relative aux caractéristiques et services des établissements au moyen de questionnaires standardisés et d’entretiens structurés avec les agents de santé. Pour chaque pays, l’échantillon d’établissements était soit nationalement représentatif ou il comprenait presque tous les établissements du système de santé.
Les analyses ont examiné les établissements de soins secondaires — dotés de capacités de réalisation de césariennes — séparément de celles de niveau primaire. Les chercheurs ont utilisé une variable catégorielle représentant le nombre annuel d’accouchements mais, pour tenir compte des différences de capacité, les seuils en sont moindres pour les établissements de soins primaires (de ≤52 à >500) par rapport à ceux de soins secondaires (de ≤500 à >4 000). L’évaluation de la qualité des soins s’est avérée plus difficile: bien que la mortalité maternelle serve souvent d’indicateur de qualité, l’approche peut être trompeuse faute de correction de la gravité supérieure des cas généralement traités dans les établissements de plus haut niveau. Comme aucune donnée de gravité n’était disponible, les chercheurs ont créé un indice de qualité des soins maternels à 12 points, indiquant le nombre d’éléments de soins de base fournis dans chaque établissement. Les éléments considérés vont de simples indicateurs structurel (comme la disponibilité d’électricité et d’eau salubre) à ceux de processus évaluant la capacité ou non des établissements à effectuer certaines procédures (comme l’évacuation de produits de conception en rétention) ou l’exécution ou non de procédures particulières durant les trois derniers mois (comme l’extraction manuelle du placenta). Pour chaque établissement, le nombre d’éléments a été converti en une cote de 0 à 1. Les covariables utilisées dans les analyses sont le secteur (public ou privé), la capacité de fourniture de traitements antirétroviraux (ART) et le nombre de membres de personnel par lit. Outre la présentation de statistiques descriptives, les chercheurs ont produit des diagrammes de dispersion qui aident à visualiser le rapport entre la quantité d’accouchements et la qualité des soins, sous correction des covariables et des effets fixes de pays par analyses de régression logistique.
L’échantillon analytique comptait 1 715 établissements qui avaient géré des accouchements et fourni des données sur leur nombre. Il s’agissait, pour 12%, d’établissements de soins secondaires, pour 28%, d’établissements privés, et 25% assuraient des prestations ART. Sans surprise, les nombres de cas varient suivant le type d’établissement: par exemple, 73% des établissements de soins secondaires, par rapport à 15% seulement de ceux de niveau primaire, assuraient en moyenne plus d’un accouchement par jour. Néanmoins, 44% des naissances étaient survenues dans les établissements de soins primaires, et 32% dans des établissements en assurant moins de 500 par an.
Les cotes moyennes de qualité des soins sont supérieures dans les établissements de soins secondaires (0,77 par rapport à 0,38 dans celles de niveau primaire). De plus, pour l’ensemble des 12 indicateurs, la proportion des établissements déclarant capacité ou offre est supérieure dans les établissements de soins de niveau secondaire. L’écart est particulièrement important en ce qui concerne la disponibilité d’électricité (66% par rapport à 11%) et l’administration de sulfate de magnésium en cas d’éclampsie ou de prééclampsie au cours des trois derniers mois (56% par rapport à 9%). Cela dit, comme l’illustrent les données relatives à l’électricité, même dans les établissements de soins secondaires, l’infrastructure la plus élémentaire faisait souvent défaut.
Les diagrammes de dispersion et les analyses de régression révèlent une association positive entre la qualité des soins et la quantité d’accouchements. Ainsi, parmi les établissements de soins secondaires, les cotes de qualité des soins corrigées sont de 0,17 point supérieures pour les établissements traitant plus de 4 000 accouchements par an, par rapport à celles qui n’en géraient que 500 ou moins. Les établissements à quantités intermédiaires atteignent aussi des cotes de qualité des soins inférieures à celles des établissements à haut volume, avec des écarts moindres toutefois (0,03 à 0,09).
Une tendance similaire paraît évidente pour les établissements de soins primaires: en moyenne, ceux atteignant les plus grandes quantités d’accouchements présentent une cote de 0,22 point supérieure à ceux au bas de l’échelle de quantité. Même ceux associés aux quantités les plus élevées ont cependant une cote inférieure en moyenne à celle des établissements de niveau secondaire traitant le moindre nombre d’accouchements: cela laisse entendre, selon les auteurs, qu’« une grande quantité d’accouchements ne peut compenser l’absence de capacités chirurgicales et des compétences afférentes ».
Au niveau des établissements de soins primaires comme secondaires, la qualité des soins est associée positivement à la prestation de traitements ART et est légèrement supérieure dans les établissements du secteur privé, par rapport au secteur public. L’adéquation des effectifs présente également une association positive avec la qualité des soins, mais seulement dans les établissements de soins primaires.
Les auteurs reconnaissent plusieurs limites à leur analyse: son fondement sur des données autodéclarées, notamment, et l’absence d’information concernant la mortalité et certains aspects potentiellement importants de la qualité des soins (compétence des prestataires, etc.). Ils n’en concluent pas moins que les faibles cotes de qualité des soins atteintes même parmi les établissements de niveau primaire à haute quantité de cas « mettent en question la capacité [de ces dernières] à assurer avec constance des soins de santé maternelle sûrs ». Pour résoudre le problème, les pays doivent « évaluer systématiquement » la qualité et le contexte des soins délivrés dans leur système de santé. Et de noter qu’une stratégie potentielle de réduction de la mortalité maternelle — en assurant l’orientation opportune des patientes à risque vers les établissements de niveau secondaire —, bien que prioritairement importante dans certains contextes, ne sera pas nécessairement efficace si les cliniciens au niveau primaire ne reconnaissent pas les complications ou si de mauvaises conditions météorologiques, une mauvaise infrastructure routière ou d’autres facteurs entravent le transport vers les établissements de plus haut niveau. Les autres approches possibles incluent l’encouragement de l’accouchement dans des établissements prenant en charge de très nombreux cas et l’assurance, dans les établissements de soins primaires qui assument le plus grand nombre d’accouchements, d’un personnel et d’équipements conformes aux normes de qualité des soins.—P. Doskoch
Référence
1. Kruk ME, Quality of basic maternal care functions in health facilities of five African countries: an analysis of national health systems surveys, Lancet Global Health, 2016, 4(11):e845–e855.